3 novembre 2008
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Hop, continuons sur la lancée d'une analyse (oh combien poussée) des symboles du tabagisme qui hantent nos villes, nos livres et nos écrans. Passons à la pipe:
Le fumeur de pipe est, foncièrement, un cérébral, un intense, un dont la fumée de la pipe ne fait que représenter une activité intellectuelle intense et permanente (fumée/ fumée-qui-sort-du-cerveau : voyez la subtile métaphore poétique). La pipe, qui a la particularité d'être un accessoire relativement encombrant, est essentiellement attachée à un caractère plutôt posé, ce qui la lie à quatre sortes d'individus :
-les privés, dont l'agilité intellectuelle est une nécessité aussi impérieuse à l'exercice de leur métier que le port de l'imperméable. Sherlock Holmes est un exemple célèbre, on peut aussi penser à Nestor Burma : regardez-moi cet air renfrogné, ces sourcils froncés de concentration pure, eh bien c'est la pipe qui fait ça, rien d'autre. Pour aller plus loin, on peut dire qu'à l'opposé de la cigarette, la pipe est le signe distinctif du cérébral posé.
Si la cigarette est l'accessoire de l'homme d'action, légère, discrète, peu encombrante, qui peut facilement servir à allumer une mèche d'explosif, la pipe, plus encombrante -plus sensuelle également- dont les courbes généreuses appellent son utilisateur à poser une main sous elle, est l'apanage de l'aventurier qui n'a pas besoin d'allumer des mèches d'explosifs, capable de prendre soins de ces choses douces et féminines que sont les pipes, à l'instar de Sherlock Holmes ou Philip Mortimer.
Je renvoie l'estimable lecteur intéressé par la question à la nouvelle d'Edgar Poe "Double assassinat dans la rue Morgue" (que l'on peut lire dans les Histoires Extraordinaires, dans laquelle le perspicace héros-rentier-détective-dilettante passe le plus clair de son temps dans le coquet salon de son hôtel particulier parisien en compagnie de l'honorable narrateur-ami-faire-valoir avec pour occupation essentiel l'inhalation de la forme gazeuse du tabac (vulgairement appelé fumée) au moyen d'un ustensile en écume de mer (vulgairement appelée pipe) dont l'extrémité, ouverte sur le dessus, accueille le fourneau permettant la combustion des feuilles séchées de nicotania tabacum (vulgairement appelé tabac). Dupin (c'est ainsi que s'appelle le détective), aime donc faire part de ses brillant raisonnements en lâchant ses conclusions entre deux bouffées de pipe.
Si vous voulez jouer au cluedo, je ne saurais donc trop vous recommander de vous munir de cet accessoire indispensable afin de trouve la solution de l'énigme avant tout le monde et pouvoir annoncer avec le détachement propre aux grands détectives : "Puff, puff, le crime a été commis puff, puff, dans la cuisine, puff, puff, au moyen d'une pelle à tarte, puff, puff, par le colonel moutarde, puff, puff" avant de prendre un air de faux détachement cachant une profonde satisfaction -un brin arrogante soyons honnête- derrière votre pipe calée au coin de la bouche.
-les intellectuels/créateurs, n'ayant que rarement besoin de sortir de chez eux ou de déclencher l'enfer sur terre ( à l'exception notable de Philip Mortimer, qui a toutefois l'excuse d'être anglais) trouvent dans la pipe l'apport de nicotine et de fumée indispensable à leur activités créatrice, qu'ils soient écrivains ou philosophe .
Cependant certains créateurs particulièrement stressés -du genre angoissé existentiel engagé, tel Camus- pourront préférer la cigarette.
Il paraîtrait également que certains créateurs particulièrement géniaux et/ ou schizophrènes auraient été vu fumant conjointement la pipe ET la cigarette. Il va sans dire que de tels individus sont rapidement rejetés par les deux camps (les fumeurs de pipes et les fumeurs de cigarettes, ce qui explique d'ailleurs la mésentente entre Camus et Sartre d'une part et entre Sartre et Sherlock Holmes d'autre part [d'autant plus que ce dernier avait aggravé son cas en étant anglais]), les obligeant à dissimuler leur nécessaire solitude dans une posture intransigeante de créateur d'école philosophique à la mode qui leur permet de compenser leur isolement intellectuel par des hordes de groupies pré-soixante-huitarde n'ayant d'autres buts que de rendre jaloux les pourritures petite-bourgeoises à l'esprit trop étroit pour admettre une fidélité simultanée à la pipe et à la cigarette que sont Camus et Sherlock Holmes.
- les notables : qu'on pourrait considérer comme une sous-branche des deux précédents. En effet, la pipe est le symbole du confort, résolument associé aux soirées au coin du feu, entre un bon fauteuil rembourré, une cheminée crépitante, une tasse de thé bien chaude et un chat lové sur un coussin du canapé. En résumé, on pourrait dire que pipe = pantoufles = notable.
-les vétérans : Là encore, il faut souligner la complémentarité de ce type avec ceux susmentionnés. Certains fumeurs de pipe sont des baroudeurs endurcis, des vétérans, qui tirent de leur longue expérience la confiance en eux nécessaire pour être digne de fumer la pipe, ce qu'ils ne manquent pas de faire avec ce style si particulier qui leur est propre : une allure posée, le buste droit et une jambe légèrement en avant, en regardant le soleil se coucher dans les flots tranquilles d'une mer apaisée (quand ils ne radotent pas en emmerdant leur petits-enfants avec leur exploits passés, assis dans un fauteuil auprès du feu...) Ce type de personnage porte généralement une barbe, signe de vieillesse et -donc- d'expérience. Le capitaine Haddock ou Gandalf sont ainsi de bons exemples de vétérans fumeurs de pipe.
La prochaine fois, ce sera au tour du cigare de vous révéler tous ses secrets...